Le risque de pollution du au transport maritime figurait déjà dans le rapport du Sénateur Roland
Courteau consacré à l'état de la Méditerranée (je vous copie le chapitre entier ci-dessous). Or, nous avons maintenant à notre disposition un nouveau
document publié le 15 avril 2014 par le "Ministère de l'Equipement, du Transport, du Logement, du Tourisme et de la Mer" qui est une étude du trafic maritime en Méditerrannée occidentale
:
http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/rapports-publics/054000140/0000.pdf
Pour résumer ce pavé de 500 pages qui est une mine de graphiques et de chiffres : Le trafic maritime se densifie encore et les navires restent agés et dangereux -
tout pour nous rassurer !
Extraits du "rapport Courteau" conscrés au transport maritime en Méditerranée
5. Le transport maritime
Le transport maritime représente une source de pollution moindre que la pollution tellurique (évaluée entre 80 et 90 %). Mais la nature des produits concernés, la pollution chronique par les
hydrocarbures et la menace très réelle d'un accident pétrolier majeur dans une mer semi-fermée font qu'il constitue un facteur de risque non négligeable.
· Le trafic méditerranéen
Les dernières données générales dont on dispose sont fournies par une étude de la Lloyd's datant de 2006.
A cette date, on dénombrait 31 000 routes maritimes effectuées par 13 000 navires par an, 250 000 escales de navires de plus de 100 000 tonnes et
10 000 navires en transit par an.
Les pétroliers y avaient effectués 4 229 voyages en charge, transportant 420 millions de tonnes de pétrole brut dont 72 millions de tonnes en transit.
L'activité de transit est celle qui se développe le plus rapidement.
Le trafic en provenance d'Asie (Moyen Orient pour les pétroliers et Chine et Asie en Sud-Est pour les porte-conteneurs) transite pour 70 % vers l'Europe du Nord et pour le reste s'arrête en
Méditerranée, principalement dans les ports de Méditerranée occidentale (Gènes, Marseille, Barcelone, Tanger) :
Source : Préfecture maritime Toulon
Quotidiennement, ce trafic maritime est dense :
Source : Préfecture maritime Toulon
Le tableau ci-joint tiré de l'imagerie satellitaire donne un aperçu de ce phénomène de concentration et permet de le comparer à celui des approches maritimes de l'Atlantique et de la
Manche :
Sur longue période, le trafic maritime en Méditerranée a connu une croissance :
- de 50 % si on le mesure par la capacité d'accueil installée dans les ports,
- et de 58 % si on le calibre par le transit qui est passé de 312 à 492 millions de tonnes.
Cet essor a reposé principalement sur l'augmentation du trafic international- extra méditerranéen -, mais a aussi résulté, à un moindre degré, du trafic euroméditerranéen qui
marque l'intégration progressive de la zone à l'Union européenne.
La progression du trafic a porté sur les produits énergétiques (+ 78 % sur le pétrole, + 114 % pour le gaz naturel liquéfié et + 165 % pour les
portes-containeurs) ; il s'est aussi accompagné d'un fort accroissement de la taille des navires.
L'étude précitée de la Lloyd's estime que le trafic maritime devrait s'accroître de 18 % sur la période 2006-2016 (dont 23 % pour le transit9(*)).
Volume de conteneurs traités dans les ports méditerranéens, 2005 (EVP10(*))
Source : AFD, Nestear, Plan Bleu
· Des facteurs aggravants
Quoique les tempêtes méditerranéennes puissent être conséquentes, le Bassin n'enregistre pas sur l'année des conditions de mer aussi dures que le Pacifique ou l'Atlantique - conditions qui
ont conduit à des marées noires de grande ampleur (Exxon Valdez, Amoco Cadiz, Erika, Prestige, etc.).
Mais les concentrations de trafic dans des passages étroits, couplées à des facteurs extérieurs (âge des navires, tendance générale au gigantisme) y constituent des facteurs de
risques supplémentaires.
Si la largeur du détroit de Gibraltar (14,4 km), la stabilité des courants et le dispositif de séparation de trafic mis en place permet d'assurer quotidiennement le transit de
310 navires (dont beaucoup de grande taille), il n'en est pas de même d'autres zones. Et en particulier :
- des bouches de Bonifacio, zone de forte biodiversité, dont le détroit assez large ne compense pas les conditions de navigation (forts courants, écueils) qui peuvent s'avérer très dangereuses en
cas de gros temps11(*) ;
- du détroit de Messine (3 km de large) - on rappellera l'expression « tomber de Charybde (courant) en Scylla (rocher) » issue de la mythologie grecque ;
- et, surtout du Bosphore (d'une longueur de 31 km et d'une largeur variant de 700 m à 3 km avec des courants violents).
En 1938, 2 navires y transitaient par jour, d'une longueur moyenne de 50 m, aujourd'hui 150 navires y transitent dont certains de 350 m (ceci sans préjudice des
nombreux « vaporettos » qui assurent le transit entre les rives européennes et asiatiques).
Par précaution, le passage s'y effectue, par alternance, dans un sens puis dans l'autre. On y enregistre 8 échouages par an mais certaines « fortunes de mer » y ont eu des
conséquences plus graves (comme la collision entre deux pétroliers en 1954 ou la perte d'un cargo panaméen en 2005). La progression du trafic de pétroliers y est constante (environ de
4 %/an), comme l'est l'accroissement de la taille de ces navires.
Les autorités turques étudient actuellement le projet d'un canal, situé à 25 kilomètres à l'ouest d'Istanbul, long de 50 kilomètres et large de 150 mètres, qui pourrait permettre,
à compter de 2023, le passage quotidien de 150 navires.
Une autre zone présente des dangers du fait de la forte concentration du trafic, le triangle Toscane-Marseille-Corse :
Les risques dus à ces particularités de conditions de navigation peuvent être renforcés par deux facteurs, l'un proprement méditerranéen, l'autre général :
- Le millésime
Le rapport précité de la Lloyd's insistait sur les différences de profil d'âge entre les navires faisant escale en Méditerranée occidentale (14 ans) et orientale (20 ans) et pointait le
fait que le déploiement de vieux tankers en Méditerranée orientale exposait la région à un plus grand risque de pollution accidentelle.
Un des interlocuteurs entendus à l'OMI par votre rapporteur a appelé son attention sur le fait que le même phénomène existait pour les navires transportant des passagers.
- Le gigantisme
Le gigantisme est une tendance générale qui, après avoir porté sur les pétroliers, les chimiquiers, dont la taille moyenne a doublé en 10 ans, s'est étendue aux porte-conteneurs et aux
navires à passagers (tel le plus grand paquebot du monde l'« Ocean of the seas » : 360 m de long, 62 m de large, plus de 8 000 passagers et membres d'équipage,
hauteur d'un immeuble de 20 étages).
Outre leur lenteur de manoeuvre, ces navires présentent un danger : pour leur propre propulsion, ils emportent des cuves contenant plus de 20 000 tonnes d'hydrocarbures,
soit la cargaison de l'Erika.
· Les types de pollutions maritimes
Les pollutions maritimes sont soit accidentelles, soit chroniques.
Le rapport déjà mentionné de l'Agence européenne pour l'environnement en donne une illustration pour les navires citernes qui auraient déversé accidentellement 80 000 tonnes de pétrole
entre 1990 et 2005 :
Principaux déversements accidentels d'hydrocarbures par des navires-citernes
(> 700 tonnes) 1990-2005
Source : PNUE - WCMC, 2004
Les risques d'accidents sont probablement amplifiés par un phénomène émergent : la croissance des pertes de conteneurs en mer - alors que ce trafic se développe très
fortement sur le bassin méditerranéen. Un travail universitaire récent12(*) évaluait
ces pertes à 10 000 par an (sur l'ensemble des océans)13(*), mais il citait des
estimations incluant les pertes non déclarées allant jusqu'à 60 000 pertes de conteneurs par an.
Ce mémoire relevait que le gigantisme des porte-conteneurs (il existe un projet de navire de 450 m de long) aggravait le risque de perte. Il s'inquiétait
également du fait que les ships planners (les gens qui organisent le chargement des conteneurs) étaient loin de tous avoir une expérience maritime. Il insistait sur ce point :
certains navires supportent une charge de frêt excessive.
Et enfin, cette étude relevait deux risques majeurs :
- le risque de collision des conteneurs flottants avec des navires,
- et le risque propres aux conteneurs transportant des produits chimiques (par exemple, lors de l'hiver 1993-1994, le « SHEBRO » a perdu 91 conteneurs au large du Cotentin dont
certains transportaient des pesticides. Les plages ont alors été polluées par 135 330 sachets de pesticides, de l'ordre de 2,7 tonnes).
Les pollutions chroniques sont de deux ordres :
- les dégazages d'hydrocarbures que l'on estime annuellement en Méditerranée à une fourchette entre 100 000 et 250 000 tonnes par an ;
- et les pollutions aérologiques imputables à la propulsion des navires (CO2, oxyde de souffre, etc.).
* 9 Compte tenu de la croissance des exportations en provenance de Chine, ce chiffre devrait
probablement être revu à la baisse.
* 10 EVP : équivalent vingt pieds.
* 11 La France et l'Italie ont déposé une soumission à l'organisation maritime internationale (OMI)
visant à y contrôler le transport de substances dangereuses.
* 12 Mémoire de Mastère présenté par Mme Zoé PAJOT à la Faculté de droit et des sciences politiques de
l'Université de Nantes.
* 13 En 2000, 11 % des litiges générés par le transfert de conteneurs portaient sur des pertes de
conteneurs à la mer.